CHAPITRE SEPT

— Nous voulons te parler, dit Damien. 

— Et nous sommes contents de voir qu’elle s’en va, enchaîna Shaunee en foudroyant Aphrodite du regard. Je lus du chagrin sur le visage d’Aphrodite.

— Bien. Je m’en vais, murmura-t-elle.

— Non, tu ne vas nulle part, dis-je.

J’attendis que les Jumelles se calment pour poursuivre.

— Nyx intervient fortement dans sa vie. Faites-vous confiance au jugement de Nyx ?

— Oui, bien sûr, répondit Damien.

— Alors, vous allez devoir accepter Aphrodite.

— Il y eut un long silence, pendant lequel ils se consultèrent du regard.

— Le problème, c’est qu’aucun de nous ne lui fait confiance, à elle, finit par lâcher Damien.

— Moi, je lui fais confiance.

Bon, ce n’était pas vrai à cent pour cent, mais j étais sûre que Nyx agissait à travers elle.

— Il se trouve que nous avons un problème de confiance avec toi, Zoey, déclara Shaunee.

— Non mais quelle bande de nuls ! éclata Aphrodite. Vous êtes complètement illogiques. Vous n’arrêtez pas de répéter : « Oui, on a confiance en Nyx ! », et en même temps vous prétendez vous méfier de Zoey. Zoey est la novice. Personne  – vampires et novices confondus  – n’a reçu autant de dons de la déesse. Vous me suivez ?

— Elle n’a peut-être pas tort… - fit Damien, songeur.

— Sans blague ? railla Aphrodite. Une autre info pour vous : dans ma dernière vision, Zoey se fait tuer, et le monde sombre dans le chaos à cause de ça. Et devinez qui est responsable de la mort de votre prétendue amie ? Vous tous ! Zoey est assassinée parce que vous lui tournez le dos.

— Elle a eu une vision de ta mort ? me demanda Damien, blanc comme un linge.

— Oui, deux, même. Mais elles étaient assez embrouillées. En tout cas, je dois rester à l’écart de l’eau et...

Je m’interrompis. J’avais failli dire « et de Neferet ». Heureusement, Aphrodite prit le relais.

— Et elle ne doit pas être isolée. Ce qui signifie que vous avez intérêt à vous réconcilier et à vous embrasser. Seulement, ne le faites pas sous mes yeux, ça risque de me rendre malade.

— Tu nous as blessés, Zoey, dit Shaunee, aussi pâle que Damien.

— Mais on ne veut pas que tu meures, termina Erin, l’air bouleversé.

— Je mourrais si tu mourais, déclara Jack en reniflant.

— Alors, vous allez vous reprendre et redevenir copains comme cochons ! conclut Aphrodite.

— Depuis quand tu te soucies de Zoey ? s’étonna Damien.

— Depuis que je travaille pour Nyx, et non plus pour moi. Nyx se soucie de Zoey, donc je me soucie de Zoey. Une chance pour elle ! Vous êtes censés être ses meilleurs amis, et il a suffi d’un secret de rien du tout et de quelques malentendus pour que vous la laissiez tomber ! Purée, Zoey, avec des amis comme ça, tu n’as plus besoin de moi comme ennemie !

Damien se détourna d’Aphrodite en secouant la tête, plus triste qu’en colère.

— Ce qui me perturbe le plus dans toute cette histoire, c’est que, de toute évidence, tu lui racontes à elle ce que tu refuses de nous confier.

— Oh, je t’en prie ! Tu ne vas pas nous faire une crise parce que je prends votre place auprès de Zoey ! Si elle se confie à moi, c’est pour une raison simple : les vampires ne peuvent pas lire dans mes pensées.

Damien battit des paupières, surpris. Puis il écarquilla les yeux et me regarda.

— Toi non plus, ils ne peuvent pas déchiffrer tes pensées ?

— Non, répondis-je.

— Ça alors ! s’écria Shaunee. Tu penses que si tu nous racontais tout, ils seraient au courant ?

— Je ne crois pas qu’ils puissent lire aussi facilement dans nos esprits, Zoey, fît Erin. Sinon, un tas de novices seraient constamment dans le pétrin.

— Attends ! intervint Damien. Ils ne font pas attention quand il s’agit de trucs typiques d’ados, comme faire le mur ou boire de l’alcool. Ça, les vampires s’en moquent ! En revanche, s’ils se doutaient qu’il se passe quelque chose de plus grave qu’une entorse au règlement, s’ils apprenaient que certains novices fourrent leur nez dans ce qui ne les concerne pas, là, ils feraient drôlement attention ! Du coup, il y a des trucs que tu ne pouvais pas nous dire !

— Bon sang ! souffla Shaunee.

— Ça craint, fit en écho Erin.

— Ça vous a pris du temps pour percuter ! railla Aphrodite.

Damien ignora sa remarque.

— Ça a un rapport avec Lucie, n’est-ce pas ? Je hochai la tête.

— Hé, en parlant de ça... commença Shaunee.

— Que lui est-il arrivé ? finit Erin.

— Rien, prétendit Aphrodite. Elle m’a trouvée, je me suis calmée quand ma Marque est revenue, et puis je suis rentrée ici.

— Et où est-elle allée ? voulut savoir Damien.

— Est-ce que j’ai l’air d’une baby-sitter ? Votre plouc de copine a juste annoncé qu’elle devait partir parce qu’elle avait des problèmes. Tu parles d’un scoop !

— Toi tu vas avoir des problèmes avec mon poing si tu dis du mal de Lucie, la prévint Shaunee.

— Je peux la tenir pendant que tu la frappes, proposa Erin.

— Vous partagez le même cerveau ou quoi ? ricana Aphrodite.

— Stop ! Ça suffit ! hurlai-je. Je risque de mourir. Deux fois. Une espèce de fantôme m’a attaquée aujourd’hui, et je crève de peur. Je ne sais pas ce qui se passe avec Lucie, et Neferet nous attend pour nous parler de sa foutue guerre  – une guerre qui ne doit pas avoir lieu. Et vous, vous passez votre temps à vous chamailler ! Vous me tapez sérieusement sur les nerfs !

— Vous feriez mieux de l’écouter, leur conseilla Aphrodite, elle est sur le point de péter un plomb !

Ils me regardèrent tous, inquiets.

— OK. On va essayer de s’entendre, promit Damien.

— Pour Zoey, dit Jack avec un sourire adorable.

— Pour Zoey, répétèrent les Jumelles en chœur. Mon cœur se gonfla de joie : ils étaient mes amis ; quoi qu’il arrive, ils resteraient à mes côtés.

— Merci, murmurai-je, émue. Vous êtes de vrais potes.

S’ensuivit un silence gêné.

— Oh, Damien, on doit y aller, déclara enfin Jack, pour s’assurer que Stark est bien installé avant que la réunion commence.

— On a un truc à faire, nous aussi, fît Shaunee. À tout à l’heure, Zoey.

Ils partirent aussitôt, me laissant seule avec Aphrodite.

— Alors, mes amis ne sont pas si terribles, hein ? Elle posa sur moi ses yeux bleus et froids.

— Ce sont tous des abrutis.

Je lui fis un clin d’œil et lui donnai un petit coup d’épaule.

— Ça fait de toi une abrutie, alors !

— C’est bien ce qui m’inquiète... Bon, viens dans ma chambre. Tu dois m’aider à résoudre un problème.

— D’accord, dis-je en haussant les épaules. J’étais très contente. Mes copains me parlaient de nouveau, et il y avait une chance que tous finissent par s’entendre.

— Hé, dis-je en marchant dans le couloir, tu as remarqué que les Jumelles sont moins agressives envers toi ?

— Les Jumelles sont symbiotiques. La science devrait se pencher sur leur cas. Mais ce n’est pas ce qui me préoccupe en ce moment, Zoey. J’ai besoin de ton aide.

Une fois dans sa chambre, aménagée et décorée à la Gossip Girl, elle ouvrit l’armoire peinte à la main  – une antiquité qui devait coûter une fortune  – qui se trouvait à côté de son lit à baldaquin sculpté  – une antiquité, également, valant également une fortune.

— Oh, au fait, dit-elle tout en fouillant dedans, tu dois faire en sorte que le conseil nous permette, ainsi malheureusement qu’à ton troupeau de ringards, de quitter le campus.

— Hein ?

Elle soupira et se tourna vers moi.

— Tu me suis, oui ou non ? Nous devons pouvoir aller et venir librement, pour découvrir ce que manigancent les amis répugnants de Lucie. Il se peut que tu aies raison, et que Neferet veuille les utiliser contre les humains. Non que j aime particulièrement mes congénères, mais je déteste la guerre. Alors, je pense que tu devrais essayer d’en savoir plus.

— Pourquoi moi ? Et pourquoi est-ce à moi de trouver un moyen de circuler hors du campus ?

— Parce que c’est toi, le super héros ! Moi, je ne suis que ton acolyte sexy. Et tes ringards sont des imbéciles. Tu trouveras une solution, comme toujours.

Je la regardai, surprise.

— Ta foi en moi est étonnante.

Je ne plaisantais pas. Elle semblait vraiment croire que j’allais les sortir de cette situation.

— Pourquoi ? demanda-t-elle en se remettant à fouiller dans son armoire. Je sais mieux que quiconque à quel point Nyx ta gâtée. Que tu es puissante, et bla-bla-bla. Alors, tu sauras te débrouiller... Ah, enfin ! On devrait avoir une bonne ici ! Impossible de mettre la main sur mes affaires quand je suis obligée de les ranger moi-même !

Elle brandit une bougie verte, placée dans un joli vase de cristal vert, et un briquet fantaisie.

— Tu... tu avais besoin de moi pour allumer une bougie ? soufflai-je.

— Non, petit génie. Parfois, je me demande vraiment ce que Nyx a en tête ! soupira-t-elle en me tendant le petit briquet doré. Je veux que tu m’aides à découvrir si j’ai perdu mon affinité avec la terre.